La parabole dite du « débiteur impitoyable », n’est pas seulement une réponse imagée à la question posée par Pierre : « Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? ». Elle fait écho à la prière du Notre Père : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons déjà remis à nos débiteurs ». Nous voilà donc prévenus, comme Pierre aurait dû l’être : « si vous pardonnez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas » ; « du jugement dont vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on usera pour vous ».
Avouons que cette mise en parallèle de notre pardon et du pardon de Dieu suscite en nous un malaise… Si Dieu notre Père subordonne le pardon de nos fautes à la façon dont nous-mêmes pardonnons celles de nos frères, quelle menace pèse sur nous, qui pardonnons si chichement – mieux : qui constatons que pour pardonner « de tout son cœur », il ne suffit pas toujours de le vouloir… Si notre pardon était absolument premier, il y aurait de quoi être épouvanté. Mais ce que la parabole de ce jour nous apprend, c’est que le pardon le plus originaire n’est pas le nôtre, mais celui de Dieu. La demande du Notre Père : «Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons déjà remis » s’éclaire en effet par une autre phrase, empruntée à la parabole : « Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » Cette question fait de la parabole du débiteur impitoyable un véritable commentaire du Notre Père. Le peuple de ceux qui prient le Notre Père est le peuple des pardonnés de Dieu. Avant d’être une exigence, la miséricorde est pour nous une expérience. Le précepte du pardon des offenses n’est si radical pour eux que parce qu’ils se savent déjà pardonnés de leurs propres fautes, et donc « en ambassade » pour Dieu, avec mission de pardonner à leur tour.
Mgr Jean-Pierre Batut
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